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HISTOIRE BE MA VIE 399

velles de Russie vinrent, à l'automne, jeter des notes lu- gubres et faire passer sous nos yeux hallucinés des images effraj'antes et douloureuses. Nous commencions à écouter la lecture des journaux, et l'incendie de Moscou me frappa comme un grand acte de patriotisme. Je ne sais pas au- jourd'hui s'il faut juger ainsi cette catastrophe. La manière dont les Russes nous faisaient la guerre est, à coup sûr, quelque chose d'inhumain et de farouche qui ne peut pas avoir d'analogue chez les nations libres. Dévaster ses pro- pres champs, brûler ses maisons, affamer de vastes con- trées pour livrer au froid et à la faim une armée d'inva- sion serait héroïque de la part d'une population qui agiiaii ainsi de son propre mouvement; mais le czar russe, qui ose dire, comme Louis XIV, VÉtat, c'est moi, ne consi 1- lait pas les populations esclaves de la Russie. Il les arra- chait de leurs demeures, il dévastait leurs terres, il les faisait chasser devant ses armées comme de misérables trou- peaux, sans les consulter, sans s'inquiéter de leur laisser un asile, et ces malheureux eussent été inliniment moins opprimés, moins ruinés et moins désespérés par notre armée victorieuse, qu'ils ne le furent parleur propre année obéissant aux ordres sauvages d'une autorité sans merci, sans entrailles, sans notion aucune du droit humain.

En supposant que Rostopchin eût pris conseil, avant de brûler Moscou, de quelques riches et puissantes familles, la population de cette vaste cité n'en eut pas moins l'obli- gation de subir le sacrifice de ses maisons et de ses biens, et il est permis de douter qu'elle y eût consenti unani- mement, si elle eût pu être consultée, si elle eût eu des réclamations à faire entendre, des droits à faire valoir. La guerre de Russie, c'est le navire battu de l'orage qui jette à l'eau sa cargaison pour alléger son lest. Le czar, c'est le capitaine; les ballots qu'on submerge, c'est le peuple, le navire qu'on sauve, c'est la politique du souverain. Si