Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/40

Cette page n’a pas encore été corrigée

30 HISTOIRE DE MA VIE

d'un très-grand sens, vient me tenir compagnie; mais comme chacun a sa manie, la sienne est la déclimatioii. Il met tout le monde en fuite avec ses tirades, et comme il me voit pris par les jambes, il me condamne à l'entendre déblatérer tout son répertoire. Je ne m'en tire qu'en me laissant aller au sommeil.

Pendant ce temps, Dupont va en société; il se cave et se recave de trente sous à la bouillotte pour plaire aux dames de l'endroit; il se bat les flancs pour leur paraître aimable et pour se persuader qu'il s'amuse. Mais comme il s'ennuie, il s'en prend à ses aides de camp. Il dit que nous n'avons pas l'esprit militaire parce que nous ne sommes pas bottés dès huit heures du matin. Il lui prend des fras.|ues dignes de don Quichotte. 11 se croit en temps de guerre, fait seller ses chevaux avec le même empressement que si l'ennemi était aux portes, n'attend pas que les ordonnances aient selié 'es leurs, s'emporte, crie, jure et part au grand trot. A peine sorti de la ville, il quitte les chemins, disant que se promener comme tout le monde n'est pas militaire. Il iirend à travers champs, bat la campagne, saute les fossés, s'enfonce dans les marais, éreinte les chevaux, et rentre avec la même précipitation que s'il avait l'ennemi au der- rière. Il appelle cela une promenade militaire, et le tout pour qu'on dise dans la ville qu'il a le diable au corps. Quanta moi, cet état d'asservissement aux caprices absurdes d'un seul me rendrait vite imbécile, si la paix se prolongeait; mais tout nous prosage de nouveaux événements, Dieu merci !

Nous attendons ici le premier consul dans quinze jours. Nous rassemblons pour le recevoir quatre régiments de cavalerie et six mille honnnes d'infanterie. Je serai alors en état de monter à cheval, et Dieu sait quelles caracoles nous allons faire 1 Ce que je dis de ce voyage est un secret d'État et ne nous est coint venu officiellement, mais confidentiel-