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386, HISTOIRE DE MA VIE

le dédommageait un peu de la modicité du prix attribué généralement aux leçons d'écrilure.

D'abord toutes ces inventions nous tirent beaucoup rire, mais au bout de cinq minutes d'essai, nous reconnûmes que c'était un vrai supplice, que les doigts s'enkylosaient, que le bras se roidit-sait, et que le bandeau donnait la mi- graine. On ne voulut pas écouter nos plaintes et nous ne fûmes débarrassées de M. Lubin que lorsqu'il eut réussi à nous rendre parfaitement illisibles.

La maîtresse de piano s'appelait madame de Villiers. C'était une jeune femme, toujours vêtue de noir, intelli- gente, patiente, et de manières distinguées.

J'avais en outre, pour moi seule, une maîtresse de des- sin, mademoiselle Greuze, qui se disait fille du célèbre peintre et qui l'était peut-être. C'était une bonne personne, qui avait peut-être aussi du talent, mais qui ne travaillait guère à m'en donner, car elle m'enseignait, de la manière la plus bête du monde, à faire des hachures avant de sa- voir dessiner une ligne et à arrondir de gros vilains yeux avec d'énormes cils qu'il fallait compter un à un avant d'avoir l'idée de l'ensemble d'une figure.

En somme, toutes ces leçons étaient un peu de l'argent perdu. Elles étaient trop superficielles pour nous appren- dre réellement aucun art. Elles n'avaient qu'un bon résul- tat, c'était de nous occuper et de nous faire prendre l'ha- bitude de nous occuper nous-mêmes. Mais il eût mieux valu éprouver nos facultés, et nous tenir ensuite à une spécialité que nous eussions pu acquérir. Celte manière d'apprendre un peu de tout aux demoiselles est certaine- ment mei.leure que de ne leur rien apprendre; c'est en- core l'usage, et on appelle cela leur donner des talents d'agré- ment, agrément que nient, par parenthèse, les infortunés voisins condamnés à entendre des journées entières cer- taines études de chani ou de piano. Mais il me semble