Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/395

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE 385

de charrue ne lui avait passé par les mains. Ses change- ments de pieds ébranlaient toute la maison, ses battements entamaient la muraille. Quand on lui disait de relever la tête et de ne pas tendre le cou, il prenait son menton dans sa maia et le tenait ainsi en dansant. Le professeur était forcé de rire, tandis que Deschartres exhalait une sérieuse et véhémente indignation contre Félève, cjui croyait pourtant avoir fait preuve de bonne volonté.

Le maître d'écriture s'appelait M. Lubin. C'était un pro- fesseur à grandes prétentions et capable de gâter la meil- leure main avec ses systèmes. 11 tenait à la position du bras et du corps, comme si écrire était une mimique cho- régraphique; mais tout se tenait dans le genre d'éducation que ma grand'mère voulait nous donner. II fallait de la grâce dans tout. M. Lubin avait donc inventé divers instru- ments de gêne pour forcer ses élèves à avoir la tète droite, le coude dégagé, trois doigts allongés sur la plume, et le petit doigt étendu sur le papier de manière à soutenir le poids de la main. Comme cette régularité de mouvement et cette tension des muscles sont ce qu'il y a de plus an- tipathique à l'adresse naturelle et à la souplesse des enfants, il avait inventé : 1" pour la tête, une sorte de couronne en baleine; 2° pour le corps et les épaules, une ceinture qui se rattachait par derrière à la couronne, au moyen d'une sangle; 3° pour le coude, une barre de bois qui se vissait à la table; 4° pour Tindev de la main droite, un anneau de laiton soudé à un plus petit anneau dans lequel on passait la plume; 5° pour la position de la main et du [Ctit doigt, une sorte de socle en buis avec des entailles et des roulettes. Joignez à tous ces uslensiles indispensables à l'étude de la calligraphie, selon M. Lubin, les règles, le pa[!ier, les plumes et les crayons, toutes choses qui no valaient rien si elles n'étaient fournies par le professeur, on verra que le professeur faisait un petit commerce qui

lu M