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384 HISTOIRE DE MA VIE

fâchait quand je me lâchais, s'obstinait quand je lui en donnais l'exemple, et puis après c'étaient des embrassades et des transports de tendresse comme avec Ursule ; mieux en- core, car nous avions dormi dans le même berceau, nous avions été nourries du même lait, nos mères donnant le sein à celle de nous qui criait la première; et quoique de- puis nous n'ayons jamais passé beaucoup de temps en- semble, il y a toujours eu entre nous comme un amour du sang plus prononcé encore que le degré de notre pa- renté; nous nous considérions dès l'enfance comme deux sœurs jumelles.

Hippolyte était en demi-pension. Dans l'intervalle des heures qu'il passait à la maison et les jours de congé, il prenait la leçon de danse et la leçon d'écriture avec nous. Je dirai quelque chose de nos maîtres, dont je n'ai rien oublié.

M. Gogault, le maître de danse, était danseur à l'Opéra. Il faisait grincer sa pochette et nous tortillait les pieds pour nous les placer en dehors. Quelquefois Deschartres, assistant à la leçon, renchérissait sur le professeur pour nous reprocher de marcher et de danser comme des ours ou des perroquets. Mais nous, qui détestions le marcher prétentieux de Deschartres, et qui trouvions M. Gogault àngulièrement ridicule de se présenter dans une chambre comme un zéphire qui va battre un entrechat, nous nous hâtions, mon frère et moi, de nous tourner les pieds en dedans aussitôt qu'il était parti ; et, comme il nous les disloquait pour leur faire prendre la première position, nous nous les disloquions en sens contraire dan.' la crainte de rester comme il nous voulait arranger. Nous appelions ce travail en cachette la sixième j)Osilion. On sait que les prin- cipes de la danse n'en admettent que cinq.

Hippolyte était d'une maladresse et d'une pesanteur épou- vantables, et M. Gogault déclarait que jamais pareil cheval