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378 HISTOIRE DE MA VIE

avait l'air de comprendre qu'on le traitait comme un en- fant. Il soupirait et s'en allait. D'autres fois il avait l'air de croire à ce qu'on lui disait, et regagnait la ville à pas pré- cipités.

Je crois avoir entendu dire qu'il était devenu fou par cha- grin d'amour, mais qu'il le sérail devenu pour une cause quelconque, parce qu'il y avait d'autres fous dans sa famille. Quoi qu'il en soit, je ne me rappelle pas ce pauvre chercheur de tendresse sans attendrissement. Nousl'aimions, nous autres enfants, sans autre motif que la compassion, car il ne nous disait presque rien et faisait si peu d'attention à nous, malgré qu'il nous regardât jouer ensemble des heures en- tières, qu'il ne nous reconnaissait pas les uns d'avec les autres. Il appelait Hippolyte M. Maurice, et demandait sou- vent à Ursule si elle était mademoiselle Dupin, ou à moi si j'étais Ursule. Nous avions pour son infortune un respect d'instinct, car nous ne l'avons jamais raillé ni évité. Une répondait guère aux questions et semblait se trouver con- tent quand on ne le repoussait ni ne le fuyait. Peut-être eût-il été très-curable par un traitement soutenu de dou- ceur, de distractions et d'amitié : mais probablement les soins moraux et intellectuels lui manquaient, car il venait toujours seul et s'en allait de même. 11 a fmi par se suici- der. Du moins on l'a trouvé noyé dans un puits, où sans doute l'infortuné cherchait la tendresse, cet introuvable objet de ses douloureuses aspirations.

Ma mère nous quitta au commencement de l'automne. Elle ne pouvait abandonner Caroline et se voyait forcée de partager sa vie entre ses deux enfants. Elle me raisonna beaucoup pour m'empêcher de vouloir la suivre, j'avais un vif chagrin : maiâ nous devions tous partir pour Paris à là fin d'octobre. C'était deux mois de séparation tout au plus, et l'effroi qui s'était emparé de moi l'année précédente à l'idée d'une séparation absolue était dissipé par la manièfe