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376 HISTOIRE DE MA VIE

pas la moindre petite flamme. Nous mettions pourtant l'o- reille sur le carreau, et Hippolyte prétendait entendre un petit pétillement précurseur des premières étincelles; mais il ^e moquait de moi, et je n'en étais pas dupe, tout en feignant d'écouter ou d'entendre aussi quelque chose. Ce n'était qu'un jeu, mais un jeu qui nous faisait battre le cœur. Nos plaisanteries nous rassuraient et tenaient noire raison éveillée, mais je ne sais pas si nous eussions osé jouer ainsi avec l'enfer l'un sans l'autre. Je ne crois pas qn'Hip- polyte l'ait essayé depuis.

Nous étions cependant un peu désappointés d'avoir pris tant de peine pour rien, et nous nous consolâmes en reconnaissant que nous n'avions pas la moitié des objets désignés dans le livre pour accomplir le charme. Nous nous promîmes de nous les procurer, et en effet pendant quelques jours nous recueillîmes certaines herbes et certains chiffons; mais comme il y avait une foule d'autres prescriptions scien- tifiques que nous ne comprenions pas, et d'ingrédients qui nous étaient complètement inconnus, la chose n'alla pas plus loin.

Le flageolet de Descharires me rappelle qu'il y avait à La Châtre un fou qui venait souvent demander à notre pré- cepteur de lui jouer un petit air, et celui-ci n'avait garde de le lui refuser, car c'était un auditeur très-attentif, le seul probablement qu'il ait jamais charmé. Ce fou s'appe- lait M. Demai. Il était jeune encore, habillé très-proprement et d'une figure agréable, sauf une grande barb2 noire qu'on était convenu de trouver très-effrayante, à cette épo- que où l'on se rasait entièrement la figure, et oi^i les mili- taires seuls portaient la moustache. Il était doux et poli ; sa folie était une mélancolie profonde, une sorte de préoccu- pation solennelle. Jamais un sourire, le calme d'un déses- poir ou d'un ennui sans bornes. Il arrivait seul à toute heure du jour, et nous remarquions avee surprise que lea