Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/385

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE 375

taineanxiété. Nous n'y croyions pourtant pas, Hippolyte étant - déjà assez esprit fort, et moi ayant été habituée par ma mère et ma grand'mère (d'accord sur ce point) à regarder l'existence du diable comme une imposture, la fiction d'un croquemitaine pour les petits enfants. Mais Ursule eut peur tout en riant, et quitta la chambre sans qu'il fût possible de l'y ramener.

Alors mon frère et moi, nous trouvant seuls à l'œuvre, et la gaieté de notre compagne ne nous soutenant plus, nous reprîmes l'opération avec une sorte de courage. Malgré nous, l'imagination s'allumait et l'attente d'un prodige quel- conque nous agitait un peu. Aussitôt que les flammes pa- raîtraient nous pouvions en rester là et ne pas insister pour que, sous le chitfre du milieu, le plancher fût percé par les deux cornes de Lucifer. — « Bah ! disait Hippolyte, il est écrit dans le livre que les personnes qui n'oseraient pas aller jusqu'au bout peuvent, en effaçant bien vite cer- tains chiffres, faire rentrer le diable sous terre, au moment oii il passe la tête dehors. Seulement il faut éviter que ses yeux soient sortis, car, aussitôt qu'il vous a regardé, vous n'êtes plus maître de le renvoyer avant de lui avoir parlé. Moi, je ne sais pas si j'oserais, mais, tout au moins, je voudrais voir le bout de ses cornes. — Mais, s'il nous re- garde, et s'il faut lui parler, disais-je, que lui dirons-nous? — Ma foi, répondait Hippolyte, je lui commanderai d'em- porter Deschartres,son flageolet et tous ses vieux bouquins. )^

Nous prenions certainement la cho>e en plaisanterie, en devisant ainsi, mais nous n'en étions pas moins émus. Les enfants ne peuvent jouer avec le merveilleux sans en res- sentir quelque ébranlement, et, sous ce rapport, les hommes du passé ont été des enfants bien autrement créiules que nous ne Pelions.

Nous complélàmes l'expérience coninie nous pûmes, el non-seulement le diable ne vint pas mais encore il n'y eut