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HISTOIRE DE MA VIE

hommes et des bêtes, des recettes pour les médicaments, les mets, les liqueurs et les poisons. Il y avait aussi de la magie, et c’était là ce qui nous intéressait le plus. Hippolyte avait ouï dire une fois à Deschartres qu’il s’y trouvait une formule de conjuration pour faire paraître le diable. Il s’agissait de la trouver dans tout ce fatras, et nous nous y reprîmes à plus de vingt fois. Au moment où nous pensions arriver au magique feuillet, nous entendions retentir sur l’escalier les pas lourds de Deschartres. Il eût été plus simple de lui demander de nous le montrer ; il est probable que, dans un moment de bonne humeur, il nous eût enseigné en riant le procédé pour appeler Satan ; mais il nous paraissait bien plus piquant de surprendre le secret nous-mêmes et de faire l’expérience entre nous.

Enfin un jour que Deschartres était à la chasse, Hippolyte vint nous chercher. Il avait ou il croyait avoir trouvé parmi divers grimoires celui qui servait à l’incantation. Il y avait des paroles à dire, des lignes à tracer par terre avec de la craie, et je ne sais quelles autres préparations qui m’échappent et que nous ne pouvions réaliser. Soit qu’Hippolyte se moquât de nous, soit qu’il crût un peu à la vertu des formules, nous fîmes ce qu’il nous prescrivait, lui, le livre à la main, nous, parcourant en différents sens les lignes tracées par terre. C’était une sorte de table de Pythagore, avec des carrés, des losanges, des étoiles, des signes du zodiaque, beaucoup de chiffres et d’autres figures cabalistiques dont le souvenir est assez confus en moi.

Ce que je me rappelle bien, c’est l’espèce d’émotion qui nous gagnait à mesure que nous opérions. Il était dit que le premier indice du succès de l’opération serait le jaillissement d’une flamme bleuâtre sur certains chiffres ou certaines figures, et nous attendions ce prodige avec une cer-