Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/382

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
372
HISTOIRE DE MA VIE

S’il l’eût une seule fois menacé de se plaindre à ma grand’mère ou de quitter la maison, Deschartres eût certainement fait un retour sur lui-même ; mais l’enfant le craignait, le haïssait, et ne se consolait que par la vengeance.

Il est certain qu’il y était ingénieux, et qu’il avait un esprit diabolique pour observer et relever les ridicules. Souvent, au milieu de la leçon, Deschartres était appelé dans la maison ou dans la cour de la ferme par quelque détail de son exploitation. Ces absences étaient mises à profit pour se moquer de lui. Hippolyte prenait le flageolet d’ébène, et singeait son professeur avec un rare talent d’imitation. Il n’y avait rien de plus ridicule, en effet, que Deschartres jouant du flageolet. Cet instrument champêtre était déjà ridicule par lui-même dans les mains d’un personnage si solennel et au milieu d’un visage si refrogné à l’habitude. En outre, il le maniait avec une extrême prétention, arrondissant les doigts avec grâce, dandinant son gros corps, et pinçant la lèvre supérieure avec une affectation qui lui donnait la plus plaisante figure du monde. C’était dans le menuet de Fischer surtout qu’il déployait tous ses moyens, et Hippolyte savait très-bien par cœur ce morceau, qu’il ne pouvait venir à bout de lire proprement quand la musique écrite et la figure menaçante de Deschartres étaient devant ses yeux. Mais à force de le contrefaire, il l’avait appris malgré lui et je crois qu’il ne fit jamais d’autre étude musicale que celle-là.

Ursule, qui était fort sage pendant la leçon, devenait fort turbulente dans les entr’actes. Elle grimpait partout, feuilletait tous les livres, bousculait toutes les pantoufles et toutes les savonnettes, et riait à se rouler par terre de toutes les remarques dénigrantes d’Hippolyte sur la toilette, les habitudes et les manies du pédagogue. Il avait toujours sur les rayons de sa bibliothèque une quantité de