Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/378

Cette page n’a pas encore été corrigée

368 HISTOIRE DE MA VIE

trop tardive, ne me servit guère, ce qui est cause que j'apprends encore ma langue en la pratiquant et que je crains de ne la savoir jamais. La pureté, la correction seraient pourtant un besoin de mon esprit, aujourd'hui surtout^ et ce n'est jamais par négligence ni par distrac- tion que je pèche, c'est par ignorance réelle.

Le malheur vint de ce que Deschartres, partageant le préjugé qui préside à l'éducation des hommes, s'imagina que, pour me perfectionner dans la connaissance de ma langue, il lui fallait m'enseigner le latin. J'apprenais très- volontiers tout ce qu'on voulait et j'avalai le rudiment avec résignation. Mais le français, le latin et le grec qu'on ap- prend aux enfants prennent trop de temps, soit qu'on les enseigne par de mauvais procédés, ou que ce soient les langues les plus difficiles du monde, ou encore que l'étude d'une langue quelconque soit ce qu'il y a de plus long et de plus aride pour les enfants; toujours est-il qu'à moins de facultés toutes spéciales, on sort du collège sans savoir ni le latin, ni le français, et le grec encore moins. Quant à moi, le temps que je perdis à ne pas apprendre le latin fit beaucoup de tort à celui que j'aurais pu employer à apprendre le français, dans cet âge où l'on apprend mieux que dans tout autre.

Heureusement je cessai le latin d'assez bonne heure, ce qui fait que, sachant mal le français, je le. sais encore mieux que la plupart des hommes de mon temps. Je ne parle pas ici des littérateurs, que je soupçonne fort de n'avoir pas pris leur forme et leur style au collège, mais du grand nombre des hommes qui ont parfait leurs études classiques sans songer depuis à faire de la langue une étude spéciale. Si on veut bien le remarquer, on s'apercevra qu'ils ne peuvent écrire une lettre de trois pages sans qu'il s'^f rencontre une faute de langage ou d'orthographe. On remar- quera aussi que les femmes de vingt à trente ans qui ont