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366 HISTOIRE DE MA VIE

lucides. Il en est d'autres qu'une petite dose rend idiots et furieux. Mais, en somme, je crois que le vin ne nous fait révéler que ce que nous avons en nous de bon ou de mauvais, et le meilleur vin du monde fait mal à ceux qui ont la tête faible ou le caractère irritable. L'exaltation religieuse, sur quelque dogme qu'elle s'appuie, est donc un état de l'âme sublime, odieux ou misérable, selon que le vase où fermente celte brûlante liqueur est solide ou fragile. Cette surexcitation de notre être fait de nous des saints ou des persécuteurs, des martyrs ou des bourreaux, et ce n'est certainement pas la faute du christianisme si les catholi- ques ont inventé l'inquisition et les tortures.

Ce qui me choque dans les dévots en général, ce ne sont pas les défauts qui tiennent invinciblement à leur organi- sation, c'est l'absence de logique de leur vie et de leurs opi* nions. Ils ont beau dire, ils font comme faisait ma mère. Ils en prennent et ils en laissent, et ils n'ont pas ce droit que ma mère s'arrogeait avec raison, elle qui ne se piquait point d'orthodoxie. Quand j'ai été dévote, je ne me passais rien, et je ne faisais pas un mouvement sans m'en rendre compte et sans demander à ma conscience timorée s'il m'était permis de marcher du pied droit ou du pied gauche. Si j'étais dévote aujourd'hui, je n'aurais peut-être pas l'éner- gie d'être intolérante avec les autres, parce que le caractère ne s'abjure jamais; mais je serais intolérante vis-à-vis de moi-même, et l'âge mûr conduisant à une sorte de logique positive, je ne trouverais rien d'assez austère pour moi. Jn n'ai donc jamais compris les femmes du monde qui vont au bal, au spectacle, qui montrent leurs épaules, qui songent à se faire belles, et qui pourtant reçoivent tous leurs sacrements, ne négligent aucune prescription du culte et se croient parfaitement d'accord avec elles-mêmes. Je ne parle pas ici des hypocrites, ce ne sont pas des dévo* tes, je parle de femmes très-naïves, et à qui j'ai souven