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HISTOIRE DE MA VIE 365

mon instinct me poussait beaucoup plus vers la foi naïve et confiante de ma mère que vers l'examen critique et un peu glacé de ma bonne maman. Sans qu'elle s'en doutât, ma mère portait de la poésie dans son sentiment religieux, et il me fallait de la poésie : non pas de celte poésie arran- gée et faite après mûre réflexion, comme on essayait d'en faire alors pour réagir contre le positivisme du dix-hui- tième siècle, mais de celle qui est dans le fait même et qu'on boit dans l'enfance sans savoir ce que c'est et quel nom on lui donne. En un mot, j'avais besoin de poésie comme le peuple, comme ma mère, comme le paysan qui se prosterne un peu devant le bon Dieu, un peu devant le diable, prenant quelquefois l'un pour l'autre, et cher- chant à se rendre favorables toutes les mystérieuses puis- sances de la nature.

J'aimais le merveilleux passionnément, et mon imagina- tion ne trouvait pas son compte aux explications que m'en donnait ma grand'mère. Je lisais avec un égal plaisir les prodiges de l'antiquité juive et païenne. Je n'aurais pas mieux demandé que d'y croire ; ma grand'mère faisant de temps en temps un court et sec appel à ma raison, je ne pouvais pas arriver à la foi, mais je me vengeais du petit chagrin que cela me causait en ne voulant rien nier inté- térieurement. C'était absolument comme pour mes contes de fées, auxquels je ne croyais plus qu'à demi, en certains moments et comme par accès.

Les nuances que revêt le sentiment religieux suivant les individus est une affaire d'organisation, et je ne fais pas le procès à la dévotion, comme ma grand'mère, à cause des vices de la plupart des dévots. La dévotion est une exaltation de nos facultés mentales comme l'ivresse est une exaltation de nos facultés physiques. Tout vin enivre quand on boit trop, et ce n'est pas la faute du vin. 11 y a des gens qui en supportent beaucoup et qui n'en ,sont que plus