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364 HISTOIRE DE MA VIE

me paraît meilleure. J'y ai beaucoup de distractions, cela dure trop longtemps ; mais enfin il y a un bon moment où je prie de tout mon cœur, et cela me soulage, »

« Pourtant, lui disait encore ma grand'mère, vous fuyez les dévots. — Oui, répondait-elle, parce qu'ils sont intolé- rants et hypocrites, et je crois que si Dieu pouvait haïr ses créatures, les dévots et les dévotes surtout seraient celles qu'il haïrait le plus. — Vous condamnez par là votre religion même, puisque les personnes qui la prati- quent le mieux sont les plus haïssables et les plus mé- chantes qui existent. Cette religion est donc mauvaise, et plus on s'en éloigne, meilleur on est ; n'est-ce pas la con- séquence de votre opinion ? — Vous m'en demandez trop long, disait ma mère ; je n'ai pas été habituée à raisonner mes sentiments, je vais comme je me sens poussée, et tout ce que mon cœur me conseille je le fais sans en demander la raison à mon esprit. »

On voit par là et par l'éducation qui m'était donnée, ou plutôt par l'absence d'éducation religieuse raisonnée, que ma grand'mère n'était pas du tout catholique. Ce n'était l)as seulement les dévots qu'elle haïssait, comme faisait ma mère, c'était la dévotion, c'était le catholicisme qu'elle ju- geait froidement et sans pitié. Elle n'était pas athée, il s'en faut de beaucoup. Elle croyait à cette sorte de religion naturelle préconisée et peu définie par les philosophes du dix-huitième siècle. Elle se disait déiste et repoussait avec un égal dédain tous les dogmes, toutes les formes de 'reli- gion. Elle tenait, disait-elle, Jésus-Christ en grande estime, et, admirant l'Evangile comme une excellente philosophie, elle plaignait la vérité d'avoir toujours été entourée d'une fabulation plus ou moins ridicule.

le dirai plus tard ce que j'ai gardé ou perdu, adopté ou rejeté de ses jugements. Mais, suivant pas à pas le déve- loppement de mon être, je dois dire que dans mon enfance