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S62 HISTOIRE DE MA VIE

foire, car l'agriculture et la régie de nos fermes roccupaienl en première ligne, Hippolyte étant censé étudier sa leçon dans la chambre du grand homme, s'imagina de faire le grand homme tout de bon. Il endosse la grande veste de chasse, qui lui tombait sur les talons, il coitfe la casquette à soufflet, et le voilà qui se promène dans la chambre en long et en large, les pieds en dehors, les mains derrière le dos à la manière du pédagogue. Puis il s'étudie à imiter son langage, il s'approche du tableau noir, fait des figures avec de la craie, entame une démonstration, se fâche, bé- gaye, traite son élève d'ignorant crasse et de butor; puis, satisfait de son talent d'imitation, il se met à la fenêtre et apostrophe le jardinier sur la manière dont il taille les arbres; il le critique, le réprimande, l'injurie, le menace; le tout dans le slyle de Deschartres et avec ses éclats de voix accoutumés. Soit que ce fût assez bien imité, soit la distance, le jardinier, qui, dans tous les cas, était un garçon simple et crédule, y fut pris, et commença à ré- pondre et à murmurer. Mais quelle fut sa stupeur quand il vit à quelques pas de lui le véritable Deschartres qui as- sistait à cette scène et ne perdait pas un des gestes ni une des paroles de son Sosie ! Deschartres aurait dû en rire, mais il ne supportait pas qu'on s'attaquât à sa personna- lité, et, par malheur, Hippolyte ne le vit pas, caché qu'il était par les arbres. Deschartres, qui était rentré de la foire plus tôt qu'on ne l'attendait, monta sans bruit à sa chambre et eu ouvrit brusquement la porte, au moment oià l'es- piègle disait d'une grosse voix à un Hippolyte supposé : « Vous ne travaillez pas, voilà une écriture de chat et une orthographe de crocheteur! pim, pan ! vo'là pour vos oreilles, animal que vous êtes! »

En ce moment la scène fut double, et pendant que le faux Deschartres souflletaiL un Hippolyte imaginaire, le véritable Deschartres souffletait le véritable Hippolyte.