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HISTOIRE DE MA VIE ^9

le préceptorat de Deschartres. Je fus assez longtemps sans avoir à m'en plaindre, car, autant il était rude et brutal avec Hippolyte, autant il fut calme et patient avec moi dans les premières années. C'estpour celaque je fisde rapides progrès avec lui, car il démontrait fort clairement et briè- vement quand il était de sang-froid ; mais dès qu'il s'ani- mait, il devenait diffus, embarrassé dans ses démonstrations, et la colère, le taisant bégayer, le rendait tout à fait inintelligible. Il maltraitait et rudoyait horriblement le pauvre Hippolyte, qui pourtant avait de la facilité et une mémoire excellente. 11 ne voulait pas tenir compte du besoin d'activité d'une robuste nature que de trop longues leçons exaspéraient. J'avoue bien, malgré mon amitié pour mon Irère, que c'était un enfant insuppoi table. Il ne songeait qu'à briser, à détruire, à taquiner, à |ouer de mauvais tours à tout le monde.

Un jour il lançait des tisons enflammés dans la cheminée, sous prétexte de sacrifier aux dieux infernaux, et il mettait le feu à la maison. Un autre jour il mettait de la poudre dans une grosse bûche pour qu'elle fil explosion dans le foyer et lançât le pot-au-feu au milieu de la cuisine. Il appelait cela étudier la théorie des volcans. Et puis il atta- chait une casserole à la queue des chiens et se plaisait à leur fuite désordonnée et à leurs cris d'épouvante à travers le jardin. 11 mettait des sabots aux chats, c'est-à-dire qu'il leur engluait les quatre pieds dans des coquilles de noix et qu'il les lançait ainsi sur la glace ou sur les parquets, pour les voir glisser, tomber et retomber cent fois avec des jure- ments épouvantables. D'autres fois, il disait être Calchas le grand prêtre des Grecs, et, sous prétexte de sacrifier Iphigénie sur la table de la cuisine, il prenait le couteau destiné à de moins illustres victimes, et s'évortuant à droite et à gauche, il blessait les autres ou lui-même.

Je prenais bien quelquefois un peu d part à ses méfaits,