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358 HISTOIRE DE MA VIE

Heureusement l'habitude l'avait rendu solide cavalier, même dans son sommeil ; je jouai du talon, el la jument, qui savait son chemin, nous conduisit à bon port, malgré qu'elle eût la bride sur le cou.

Après le dîner, où il mangeait et buvait copieusement, il se rendormait au coin du feu, et de ses ronflements faisait trembler les vitres. Puis il s'éveillait et me deman- dait un petit air de clavecin ou d'épinelte ; il ne pouvait pas dire piano, l'expression lui semblant trop nouvelle. A mesure qu'il vieillissait, il n'entendait plus les basses. Les notes aiguës de l'instrument lui chatouillaient encore un peu le tympan. Un jour il me dit : « Je n'entends plus rien du tout. Allons 1 me voilà vieux 1 » Pauvre homme ! il y avait longtemps qu'il l'était. Et pourtant il montait encore à cheval à dix heures du soir, et s'en retournait en plein hiver à son presbytère sans vouloir être accompagné. Quelques heures avant de mourir, il dit au domestique que j'avais envoyé savoir de ses nouvelles : « Dites à VAuroro qu'elle ne m'envoie plus rien, je n'ai plus besoin de rien ; et dites-lui aussi que je l'aime bien ainsi que ses enfants. »

Il me semble que la plus giande preuve d'attachement qu'on puisse revendiquer, c'est d'avoir occupé les dernières pensées d'un mouiant. Peut-être aussi y a-t-il là quelque chose de prophétique qui doit inspirer de la confiance ou de l'effroi. Lorsque la supérieure de mon couvent mourut, de soixante pensionnaires qui l'intéressaient toutes à peu près également, elle ne songtia qu'à moi, à qui pourtant elle n'avait jamais témoigné une sollicitude parliculière. Pauvre Dupin, dit-elle à plusieurs reprises dans sou agonie, je la plains bien de perdre sa grand'mèrel » Elle rêvait quti c'était ma grand'mère qui était malade et mourante à sa place. Cela me laissa uue grande inquiétude, et une sorte d'appréhension superstitieuse de quelque malheur imminent.

Ce fut ver» l'âge de sept ans que je commençai à subir