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354 HISTOIRE DE MA VIE

Il n'était pas très-aimé de ses paroissiens, et je pense qu'il y avait bien au moins autant de leur faute que de la sienne; car, quoi qu'on dise des touchantes relations qui existent dans les campa^'nes entre curés et paysans, rien n'est si rare, du moins depuis la Révolution, que de voir les uns et les autres se rendre justice et se témoigner de l'indaigence. Le paysan exige du curé trop de perfec- tion chrétienne, le curé ne pardonne pas assez au paysan son exigence et les défauts de son éducation morale, qui sont un peu l'œuvre du catholicisme, venu en aide au despotisme pour le tenir dans l'ignorance et la crainte.

Quoiqu'il en soit, notre curé avait de bonnes qualités. 11 était d'une franchise et d'une indépendance de caractère qui ne se rencontrent plus guère dans la hiérarchie ecclésiastique. Il ne se mêlait point de politique, il ne cherchait point à exercer de l'influence pour plaire à tel personnage ou pour se préserver des rancunes de tel autre; car il était courageux, auda- cieux même par nature. Il aimait la guerre de passion et se plaisait au récit des grandes campagnes de nos soldats, disant que s'il n'était pas prêtre il voudrait être militaire. Certes, il tenait bien un peu de l'un et de l'au'.re, car il jurait comme un dragon et buvait comme un templier. « Je ne suis point un cagot, moi, disait-il, sous la Restau- ration. Je ne suis pas un de ces hypocrites qui ont changé de manières depuis que le gouvernement nous protège; je suis le même qu'auparavant et n'exige pas que mes parois- siens me saluent plus bas ni qu'ils se privent du cabaret et de la danse, comme si ce qui était permis hier ne devait plus l'être aujourd'hui. Je suis mauvaise télé, et je n'ai pas besoin de nouvelles lois pour me déJendre; si quelqu'un me cherche noise, je suis bon pour lui répon- dre et j'aime mieux lui montrer mon poing que de le me- nacer des gendarmes et du procureur du roi. Je suis un vieux de la vieille roche^ et je ne crois pas qu'avec leur