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HISTOIRE DE MA VIE 353

hardiesse et de sang-froid au temps de la persécution. Cela ne s'était point passé dans notre vallée Noire, où les prêtres ni les seigneurs n'ont jamais été menacés sé'-ieuse- ment ni maltraités en aucune façon. Depuis ce temps, Manette gouvernait despotiquement son maître et le faisait marcher comme un petit garçon. Ils sont morts à peu d'intervalle l'un de l'autre, dans un âge très-avancé, et, malgré leurs querelles et le peu d'idéal de leur vie, le temps, qui ennoblit tout, avait donné à leur affection mu- tuelle un caractère touchant. Manette voulait toujours que fion maître fût exclusivement soigné et servi par elle; mais elle n'en avait plus la force, et lorsqu'il était malade, quand elle l'avait bien veillé et médicamenté, elle tombait malade à son tour. Alors le curé prenait une autre ser- vante pour que la vieille pût se reposer et se soigner. Mais à peine était-elle debout, qu'elle était furieuse de voir une étrangère dans la maison . Elle n'avait pas de repos qu'elle ne l'eût fait renvoyer.

Puis elle allait perdant de nouveau ses forces. Elle se plaignait alors d'avoir trop d'ouvrage et de n'éire point secondée. Et vite le curé de reprendre une aide, qu'il fallait renvoyer de même au bout de huit jours. C'était une criail- lerie perpétuelle, et le curé s'en plaignait à moi, car j'avais trente et quelques années qu'il vivait encore. • Hélas! disait-il, elle me rend très-malheureux, mais que voulez- vous! il y a cinquante-sept ans que nous sommes ensemble, elle m'a sauvé la vie, elle m'aime comme son i\h. Il faut bien que celui qui survivra ferme les yeux de celui qui partira le premier. Elle me gronde sans cesse, elle se plaint de moi comme si j'étais un ingrat; je tâche de lui prouver qu'elle est injuste, mais elle est si sourde qu'elle n'entend pas la grosse cloche! » Et en disant cela le vieux curé ne se doutait pas qu'il était sourd lui-même à ne pas entendre le canon.

n. to.