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352 HISTOIRE DE MA VIE

elle le disait, une affaire bâclée^ avait prié le curé d'user d'un peu d'indulgence, alléguant le peu de mémoire de l'enfant. M. le curé avait été indulgent en effet, et Hip- polyte fut chargé de lui porter un petit cadeau, c'était douze bouteilles de vin muscat. On se mit à table et on déboucha la première bouteille. « Ma foi, fît le bon curé, voilà un petit vin blanc qui se laisse boire et qui ne doit pas porter à la tête comme le vin du cru ; c'est doux, c'est gentil, ça ne peut pas faire de mal. Buvez, mon garçon, mettez-vous là. Manette, appelez le sacristain, et nous goû- terons la seconde bouteille quand la première sera finie. » La servante et le sacristain prirent place, et trouvèrent le vin fort gentil en effet. Hippolyte ne se méfiait de rien, n'en ayant jamais eu à discrétion. Les convives le trou- vèrent un peu chaud à la seconde bouteille, mais, après essai, ils déclarèrent qu'il ne portait pas l'eau. On passa au troisième et au quatrième feuillet du Bréviaire, comme di- sait le curé, c'est-à-dire aux autres bouteilles du panier, et insensiblement le communiant, le curé, la servante et le sacristain se trouvèrent si gais, puis si graves, puis si préoc- cupés, qu'on se sépara sans trop savoir comment. Hippolyte revint seul par les prés, car depuis longtemps tous les parois- siens venus à la messe étaient rentrés chez eux. Chemin faisant, il se sentit la tête si lourde qu'il croyait voir dan- ser les buissons. Il prit le parti de se coucher sous un arbre et d'y faire un bon somme. Après quoi ses idées s'étant un. peu éclaircies, il put revenir à la maison, où il nous éd'fia tous par sa gravité et sa sobriété le reste de la journée.

La servante du curé était une toute petite femme, propre, active, dévouée, tracassière et acariâtre, ce dernier défaut étant souvent comme un complément inévitable des qua- lités dont il est peut-être l'excès. Elle avait sauvé la vie et la bourse de son maître pendant la Révolution. Elle l'avait caché, elle avait nié sa présence avec beaucoup de