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HISTOIRE DE MA VIE 351

J'ai entendu de mes deux oreilles plus de deux cents ser- mons dont celui-là est un spécimen très-atténué, et dont les formes sont restées proverbiales dans nos paroisses, particu- lièrement la formule de la fin, qui était comme VAmen de toutes ses prédications et admonestations paternelles.

11 y avait à Saint-Chartier une vieille dame d'un embon° point prodigieux, dont l'époux était maire ou adjoint de la commune. Elle avait eu une vie orageuse avant la Révo- lution ; novice, elle avait sauté par-dessus les murs du monastère pour suivre à l'armée un garde-française ou un Suisse. Je ne sais par quelle suite d'aventures étranges elle était venue asseoir ses derniers beaux jours dans le banc des marguilliers de noire paroisse, où elle avait apporté beau- coup plus des manières du régiment que de celles du cloître. Aussi la messe était elle interrompue à chaque ins- tant par ses bâillements affectés et par ses apostrophes éner- giques à M. le curé. « Quelle diable de messe, disait-elle tout haut, ce gredin-là n'en finira pas ! — Allez au diable, disait le curé à demi-voix en t:,c retournant pour bénir l'au- ditoire : Dominus vobiscum. »

Ces dialogues jetés à travers la messe et dans un style si accentué que je ne puis en donner qu'une très-faible traduction, troublaient à peine la gravité de l'auditoire rus- tique, et comme ce furent les premières messes auxquelles j'assistai, il me fallut quelque temps pour comprendre que c'étaient des cérémonies religieuses. La première fois que j'en revins, ma grand'mère me demandant ce que j'avais vu : « J'ai vu, lui dis-je, le curé qui déjeunait tout debout devant une grande table et qui de temps en temps se re- tournait pour nous dire des sottises. »

Le jour où Hippolyte fit sa première communion, le cure l'avait invité à déjeuner après la messe. Comme ce gros garçon n'était pas très-ferré sur son catéchisme, ma grand'- mère, qui désirait que la première communion fût, comme