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HISTOIRE DE MA VIE 347

Ma grand'inère ne partageait pas cette sympathie secrète qui avait gagné mon père, et qui, jointe à la loyauté dQ son âme, à la chaleur de son patriotisme, l'eût certaine- ment empêché, je ne dis pas seulement de trahir l'empe- reur, mais même de se rallier après coup au service des Bourbons, il fiillait que cela fût bien certain d'après son caractère, puisque après la campagne de France, ma grand'mère, toute royaliste qu'elle était devenue, disait ea soupirant : i Ah ! si mon pauvre Maurice avait vécu, il ne m'en fauirait pas moins le pleurer à présent ! Il se serait fait tuer à Waterloo ou sous les murs de Paris, ou bien il se serait brûlé la cervelle en voyant entrer les Cosaques. » Et ma mère disait la même chose de son côté.

Pourtant ma grand'mère redoutait l'empereur plus qu'elle ne l'aimait. A ses yeux c'était un ambitieux sans repos, un tueur d'hommes, un despote par caractère encore plus que par nécessité. Les plaintes, les critiques, les calomnies, les révélations fausses ou vraies ne remplissaient pas alors les colonnes des journaux. La presse était non pas seule- ment muselée, mais avilie. Elle n'était pas forcée seule- ment de se taire, elle était jalouse de s'humilier et d'aduler la puissance. Celte absence de polémique donnait aux con- versations et aux préoccupations des particuliers un carac- tère de partialité et de commérage extraordinaire. La louange officielle a fait plus de mal à Napoléon que ne lui en eussent fait vingt journaux hostiles. On était las de ces dithyrambes ampoulés, de ces bulletins emphatiques, de la servilité des fonctionnaires et de la morgue mystérieuse des courtisans. On s'en vengeait en rabaissant l'idole dans l'impunité des causeries intimes, et les salons lécalcitrants étaient des officines de délations, de propos d'antichambre, de petites calomnies, de petites anecdotes qui devaient plus tard rendre la vie à la presse, sous la Restauration. Quell<? vie ! Mieux eût valu rester morte que de ressusciter