Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/356

Cette page n’a pas encore été corrigée

346 HISTOIRE DE MA VIE

OÙ le portrait du marmot impérial ne fùi inauguré avec une vénération feinte ou sincère. Mais les masses étaient sincères, elles le sont toujours L'empereur se promenait à pied, sans escorte, au milieu de la foule. La garnison de Paris était de douze cents hommes.

Pourtant la Russie armait, Bernadotte donnait le signal d'une immense et mystérieuse trahison. Les esprits un peu clairvoyants voyaient venir l'orage. La cherté des denrées frappées par le blocus continental effrayait ei contrariait les petites gens. On payait le sucre six francs la livre, et. au milieu de l'opulence apparente de la nation, on mao» quait de choses fort nécessaires à la vie. Nos fabriques n'a- vaient pas encore atteint le degré de perfectionnement né- cessaire à cet isolement de notre commerce. On souffrait d'un certain njalaise matériel, et quand on était las.de s'en prendre à l'Angleterre, on s'en prenait au chef de la nation, sans amertume; il est vrai, mais avec tristesse.

Ma grand'mère n'avait point d'enthousiasme pour l'em- pereur. Mon père n'en avait pas eu beaucoup non plus, comme on l'a vu dans ses lettres. Pourtant, dans les der nières années de sa vie, il avait pris de l'affection poui lui. 11 disait souvent à ma mère : « J'ai beaucoup à me plaindre de lui, non pas parce qu'il ne m'a pas placé d'emblée aux premiers rangs ; il avait bien autre chose en tête, et il n'a pas manqué de gens plus heureux, plus ha- biles et plus hardis à demander que moi ; mais je me plains de lui parce qu'il aime les courtisans et que ce n'est pas digne d'un homme de sa taille. Pourtant, malgré ses torts envers la Révolution ot envers lui-même, je l'aime. Il y a en lui quelque chose, je ne sais quoi, son génie à part, qui me force à cire ému quand mon regard ren- contre le sien. 11 ne me fait pas peur du tout, et c'est à cela que je sens qu'il vaut mieux que les airs qu'il se donne. »