Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/355

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE 345

rer en lui la loyauté, la confiance, la magnanimité natu- relles. Hypocrite dans les petites choses, il était naïf dans les grandes. Orgueilleux dans les détails, exigeant sur des misères d'étiquette, et follement fier du chemin que lui avait fait faire la Fortune, il ne connaissait pas son propre mérite, sa vraie grandeur. Il était modeste à l'égard de son vrai génie.

Toutes les fautes qui ont précipité sa chute, coaime homme de guerre et comme homme d'État, sont venues d'une trop grande confiance dans le talent ou dans la pro- bité des autres. Il ne méprisait pas l'espèce humaine, comme on l'a dit, pour n'estimer que lui-même : c'est là un propos de courtisan dépité, ou d'ambitieux secondaire jaloux de sa supériorité. Il s'est confié toute sa vie à des traîtres. Toute sa vie il a compté sur la foi des traités, sur la reconnaissance de ses obligés, sur le patriotisme de ses créatures. Toute sa vie il a été joué ou trahi.

Son mariage avec Marie-Louise était une mauvaise action et devait lui porter malheur. Les gens les plus simples et les plus tolérants sur la loi du divorce, ceux même qui aimaient le plus l'empereur disaient tout bas, je m'en souviens bien : « C'est un mariage d'intérêt, on ne répudie pas une femme qu'on aime et dont on est aimé. »

11 n'y aura, en effet, jamais de loi qui sanctionne mo- ralement une séparation pleurée de part et d'autre et qui s'accomplit seulement en vue d'un intérêt matériel. Mais, tout en blâmant l'empereur, on l'aimait encore parmi le peuple. Les grands commençaient à le trahir, et jamais ils ne l'avaient tant adulé. Le beau monde était en fête. La naissance d'un enfant roi (car ce n'eût pas été assez pour l'orgueil du soldat de fortune que de lui donner le litre de Dauphin de France) avait jeté la petite bourgeoisie, les soldats, les ouvriers et les pay-sans dans l'ivresse. Il n'y avait pas une maison, riche ou pauvre, palais ou cabane,