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collectif, dans sa liberté, dans son travail. Voilà pourquoi le communisme absolu, qui est la notion élémentaire, par conséquent grossière et excessive, de l'égalité vraie, est une chimère ou une injustice.

Mais je ne pensais guère à tout cela il y a trente-sept ans ^ ! Trente-sept ans ! Quelles transformations s'opèrent dans les idées humaines pendant ce court espace, et com- bien les changements sont plus frappants et plus rapides à proportion dans les masses que chez les individus ! Je ne sais pas s'il existait un communiste il y a trente-sept ans. Celte idée, aussi vieille que le monde, n'avait pas pris un nom particulier, et c'est peut-être un tort qu'elle en ait pris un de nos jours, car ce nom n'exprime pas complète- ment ce que devrait être l'idée.

On n'en était pas alors à discuter sur de semblables ma- tières. Celait la dernière, la plus brillante phase du règne de l'individualité. Napoléon était dans toute sa gloire, dans toute sa puissance, dans toute la plénitude de son influence sur le monde. Le flambeau du génie allait décroître. II jetait sa plus vive laeur, sa clarté la plus éblouissante sur la France ivre et prosternée. Des exploits grandioses avaient conquis une paix opulente, glorieuse, mais fictive ; car le \olcan grondait sourdement dans toute l'Europe, et les traités de l'empereur ne servaient qu'à donner le temps aux anciennes monarchies de rassembler des hommes et des canons. Sa grandeur cachait son vice originel, cette profonde vanité aristocratique du parvenu qui lui fit com- mettre toutes ses fautes et rendit de plus en plus inutile au salut de la France la beauté du génie et du caractère de l'homme en qui la France se personnifiait. Oui, c'était un admirable caractère d'homme, puisque la vanité même, le plus mesquin, le plus pleutre des travers, n'avait pu alté-

1. 1848.