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342 HISTOIRE DE MA VIE

je voyais Tune ou l'autre de mes deux mères pleurer à la dérobée, mais leurs larmes mêmes prouvaient qu'elles ne pensaient plus à toute heure, à tout instant, à l'objet de leurs regrets. Les douleurs, dans leur plus grande inten- sité, n'ont pas de crises : elles agissent dans une crise per- manente pour ainsi dire.

Madame de la Marlière vint passer un mois ou deux chez nous. Elle était fort amusante avec Deschartres, qu'elle appelait petit père et qu'elle taquinait du matin au soir. Elle n'avait pas, à coup sûr, autant d'esprit que ma mère, mais il n'y avait jamais de bile dans ses plaisanteries. Elle avait de l'amitié pour Deschartres sans être hostile à ma mère, à qui elle donnait même toujours raison. Cette vie lie femme légère était bonne, facile à vivre, impatien- tante seulement par son caquet, son bruit, son mouvement, ses éclats de rire retentissants, ses bons mots un peu ré- pétés et le peu de suite de ses propos comme de ses idées. Elle était d'une ignorance fabuleuse, malgré le brillant et le mordant de son caquet. C'était elle qui disait une épître à l'âme au lieu d'un épilhalame, et Mistouflé pour Méphis- lophélès. Mais on pouvait se moquer d'elle sans la fâcher ; (lie riait aux éclats de ses bévues, et c'était d'aussi bon cœur que quand elle rtait de celles des autres.

Les { etits jardins, les grottes, les bancs de gazon, les cascades allèrent leur train pendant toute la belle saison. Le parterre du vieux poirier, qui marquait à notre insu la sépulture de mon petit frère, reçut de notables amélio- ralions. Un tonneau plein d'eau fut placé à côté, afin que nous pussions nous livrer aux travaux de l'arrosage. Un jour je tombai la télé la première dans le tonneau, cl je m'y serais noyée ï>i Ursule ne fût venue à mon secours.

Nous avions chacune notre petit jardin dans le jardin de ma n)ère, qui était lui-même si petit qu'il aurait bien dû nous suffire ; mais un certain esprit de propriété est telle-