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HISTOIRE DE MA. VIE 341

dans la patache avec un cheval de renfort et un guide." Ce n'était pas un secours inutile, carie reste du voyage, jusqu'à l'entrée de la vallée Noire (deux lieues à parcourir), nous prit trois grandes heures, à cause des innombrables détours qu'il fallait faire pour ne point rencontrer les fon- drières; enfin il était midi quand nous arrivâmes à Nohant, et nous étions partis de Châteauroux la veille au coucher du soleil. Aujourd'hui nous faisons cette promenade avec un bon cheval, sur une route magnifique, en deux heures. Cette portion de l'année 1811 passée à Nohant fut, je crois, une des rares époques de ma vie où je connus le bonheur complet. J'avais été heureuse comme cela rue Grange-Batelière, quoique je n'eusse ni grands apparte- ments ni grands jardins. Madrid avait été pour moi une campagne émouvante et pénible; l'état maladif que j'en avais rapporté, la catastrophe survenue dans ma famille par la mort de mon père, puis cette lutte entre mes deux mères, qui avait commencé à me révéler l'effroi et la tristesse, c'était déjà un apprentissage du malheur et de la souffrance. Mais le printemps et l'été de 1811 furent sans nuages, et la preuve, c'est que cette année-là ne m'a laissé aucun souvenir particulier. Je sais qu'Ursule la passa avec moi, que ma mère eut moins de migraines que précé- demment, et que, s'il y eut de la mésintelligence entre elle et ma bonne maman, cela fut si bien caché que j'ou- bliai qu'il pouvait y en avoir et qu'il y en avait eu. Il est probable que ce fut aussi le moment de leur vie où elles s'entendirent le mieux, car ma mère n'était pas femme à cacher ses impressions. Cela était au-dessus de ses forces, et quand elle était irritée, la présence même de ses enfants ne pouvait l'engager à se contenir.

11 y eut aussi dans la maison un peu plus de gaieté qu'auparavant. Le temps n'endort pas les grandes dou- leurs, mais il les assoupit. Presaue tous les jours pourtant