Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/350

Cette page n’a pas encore été corrigée

340 HISTOIRE DE MA VIE

que c'était la lune qui se levait, mais ma mère pensait que c'était un météore et croyait voir qu'il se dirigeait rapide- ment sur nous.

Au bout de quelques instants on reconnut que c'était une sorte de fanal qui venait effectivement de notre côté, non sans faire beaucoup de zigzags et témoigner de l'incertitude d'une recherche. Enfin on distingua des bruits de voix et le pas des chevaux. Ma mère voulut encore se persua- der que c'étaient des voleurs et que nous devions fuir et nous cacher dans les broussailles pendant qu'ils pilleraient lapatache; mais Rose lui démontra que c'était au contraire des gens charitables qui venaient à notre secours, et elle courut au-devant d'eux pour s'en assurer.

En effet, c'était le bon jardinier de la Brande qui, comme un pilote habitué à de fréquents sauvetages, arri- vait avec ses fils, ses chevaux, et la chandelle de résine entourée d'un grand papier huilé et lié au bout d'une per- che, sorte de phare qui avertissait de loin les naufragés de la Brande. Notre gamin n'avait pas été aussi égoïste et aussi maladroit que nous l'avions pensé. Il avait réussi à trouver la maison de refuge et il revenait avec les hôtes pour les aider à nous retrouver aussi. En un instant ils remirent la patache sur pied, ils y attachèrent deux forts chevaux de labour, les premiers défricheurs peut-être qui aient enfoncé le soc de la charrue dans la Brande, et ils nous amenèrent chez eux, oîi la mère de famille nous at- tendait et nous avait préparé un souper rustique, un bon feu et des liis. Ce fut une fête pour nous de manger et de dormir dans cette chaumière où ronflaient d'autres en- fants que notre arrivée ne dérangea pas le moins du monde. Les gros draps bien blancs, les baldaquins de serge jaune, le chant des coqs, la gaieté du feu de bruyère sèche, et surtout l'hospitalité du paysan, nous charmèrent, et le so- leil était déjà haut quand nous repartîmes pour Nohant