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HISTOIRE DE MA VIE 339

complètement, que rien ne put décider le cheval à nous en* tirer. 11 fallut y renoncer ; alors le gamin dételant sa bête, montant dessus et jouant des talons, nous souhaita une benne nuit, et sans s'inquiéter davantage des remontrances de ma mère et des menaces énergiques de Ro.^e, disparut et se perdit dans la nuit ténébreuse.

Nous voilà donc en pleine lande et à la belle étoile, ma mère consternée, Rose jurant après le gamin, et moi pleu- rant à cause de l'inquiétude et de la contrariété que ma mère éprouvait, ce qui mettait mon âme en détresse.

J'avais peur aussi, et ce n'était ni de la nuit, ni des vo- leurs, ni de la solitude. J'étais épouvantée par le chant des grenouilles qui habitent encore aujourd'hui par my- riades les marécages de ces landes. En de certaines nuits dû printemps et d'automne, elles poussent de concert une telle clameur sur toute l'étendue de ce désert, que l'on ne s'entend point parler, e" que cela ajoute à la difficulté de s'api eler et de se retrouver, fj, en s'égurant, on se sépare de ses compagnons de route. Cet immense croassement me portait sur les nerfs et remplissait mon imagination d'a- larmes inexplicables. En vain Rose se moquait de moi et m'expliquait que cotait un chant de grenouilles, je n'en croyais rien; je rêvais d'esprits malfaisants, de fadels et de gnomes irrités contre nous, qui troublioiis la solitude de leur empire.

Enfin Rose ayant jeté des pierres dans toutes les eaux et dans toutes les herbes environnantes pour faire taire ces symphonistes inexorables, réussit à causer avec ma mèie et à la tranquilliser sur les suites de notre aventure. On me coucha au fond de la patache, où je ne tardai pas à m'endormir; ma mère n'essaya pas d'en faire autant, mais elle devisait assez gaiement avec Rose, lorsque, vers les deux heures du matin, je fus éveillée par une alerte. Un globe de feu paraissait à l'hnrizon. D'abord Rose prétendit