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HISTOIRE DE MA VIE 337

dans le pays la Brande. Vers l'extrémité qui regardé Châteauroux est une bourgade qu'on appelle Ardentes. Est- ce à cause des forges qui y existaient déjà du temps des Romains? et les landes environnantes étaient-elles alors couvertes de forêts qu'on aurait peu à peu brûlées pour la consommation de ces forges ? Ces deux noms le feraient croire. A moin» encore qu'un vaste incendie n'ait dévoré jadis et les bois et la bourgade.

Quoi qu'il en soit, la Brande était encore, au temps dont je parle, un cloaque impraticable et un sol complètement abandonné. Il n'y avait point de route tracée, ou plutôt il y en avait cent, chaque charrette ou patache essayant de se frayer une voie plus sûre et plus facile que les autres dans la saison des pluies. Il y en avait bien une qui s'appelait la route; mais, outre que c'était la plus gâtée, elle n'était pas la plus facile à suivre au milieu de toutes celles qui la croisaient. On s'y perdait continuelle- ment, c'est ce qui nous arriva.

Arrivés à Châteauroux, où cessait à cette époque toute espèce de diligences, nous déjeunâmes chez M. Duboisdoia, un vieux et excellent ami de ma giand'mère, qui avait été employé au service de la recette générale par mon grand- père M. Dupin et qui avait conservé pour nous un vif attachement. C'était un aimable et heureux petit vieillard, sec, robuste et enjoué. Il a eu une longévité extraordinaire fans infirmités. A quatre-vingt-deux ans il venait en été de Châteauroux à Nohanl à pied, c'est-à-dire qu'il faisait ainsi neut lieues pour nous voir, son habit au bout cfe sa canne placée sur son épaule, comme un jeune compagnon du tour de France. Il sautait les fossés, il courait, il dan- sait, il bêchait, il travaillait tout seul son jardin, qui était admirable de fleurs et de fruits. Il nous fit une réception charmante, nous retint longtemps à table, nous promena dans son enclos, où il ne nous fit grâce ni d'une violette