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332 HISTOIRE DE MA VIE

accablés de fatigue. Ils ne savaient même pas ouvrir et fermer une porte, et ils n'avaient pas la force de soulever une bûche pour la mettre dans le feu. Il leur fallait des domestiques pour leur avancer un fauteuil. Us ne pou- vaient pas entrer et sortir tout seuls. Qu'eussent-ils fait de leur grâce sans leurs valets pour leur tenir lieu de bras, de mains et de jambes? Je pensais à ma mère qui, avec des mains et des pieds plus mignons que les leurs, faisait deux ou trois lieues le matin dans la campagne avant son dé- jeuner, et qui remuait de grosses pierres ou poussait la brouette aussi facilement qu'elle maniait une aiguille ou un crayon. J'aurais mieux aimé être une laveuse de vais- selle qu'une vieille marquise comme celles que j'étudiais chaque jour en bâillant dans une atmosphère de vieux musc !

écrivains d'aujourd'hui, qui maudissez sans cesse la grossièreté de notre temps et qui pleurez sur les ruines de tous ces vieux chiffons, vous qui avez créé, en ces temps de royauté constitutionnelle et de démocratie bourgeoise, une littérature toute poudrée à l'image des nymphes de Trianon, je vous félicite de n'avoir point passé votre heu- reuse enfance dans ces décombres de l'ancien bon ton. Yous avez été moins ennuyés que moi, ingrats, qui reniez je présent et l'avenir, penchés sur l'urne d'un passé char- mant que vous n'avez ccnnu qu'en peinture !