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grâce naturelle à tous les enfants qui ne sont point ma- lades ou contrefaits. Mais on commençait à me trouver trop grande pour conserver cette grûce-là, qui n'est de la grâce que parce qu'elle est l'aplomb et l'aisance de la na- ture. Il y avait, dans les idées de ma bonne maman, une grâce acquise, une manière de marcher, de s'asseoir, de saluer, de ramasser son gant, de tenir sa fourchette, de présenter un objet; enfin une mimique complète qu'on devait enseigner aux enfants de très-bonne heure, afin que ce leur devînt par l'habitude une seconde nature.

Ma mère trouvait cela fort ridicule, et je crois qu'elle avait raison. La grâce tient à l'organisation, et si on ne l'a pas en soi-même, le travail qu'on fait pour y arriver augmente la gaucherie. Il n'y a rien de si affreux pour moi qu'un homme ou une femme qui se manièrent. La grâce de convention n'est bonne qu'au théâtre (précisé- ment par la raison que j'ai donnée plus haut que la vérité dans l'art n'est pas la réalité.)

Cette convention était un article de si haute importance dans la vie des hommes et des femmes de l'ancien beau monde, que les acteurs ont peine aujourd'hui, malgré toutes leurs études, à nous en donner une idée. J'ai encore connu de ces vieux êtres gracieux, et je déclare que, mal- gré leurs vieux admirateurs des deux sexes, je n'ai rien vu de plus ridicule et de plus déplaisant. J'aime cent fois mieux un laboureur à sa charrue, un bûcheron dépeçant un arbre, une lavandière enlevant sa corbeille sur sa tête, un enfant se roulant par terre avec ses compagnons. Les animaux d'une belle structure sont des modèles de grâce. Qui apprend au cheval ses grands airs de cygne, ses atti- tudes fières, ses mouvements larges et souples, et à l'oiseau ses indescriptibles gentillesses, et au jeune chevreau ses danses et ses bonds inimitables? Fi de celle vieille grâce qui consistait à prendre avec art une prise de tabac et i