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24 HISTOIRE DE MA VIE

pour qu'elle ne t'inquiétât pas davantage avec ses rapports officieux. Il est vrai encore que V*** m'a suivi ici, que je l'ai logée aux environs de la ville chez d'honnêtes bour- geois; puis je l'ai fait entrer, comme elle le voulait, dans un magasin de modes, où elle travaille maintenant. Je ne l'ai donc ni trahie ni abandonnée à la misère, et à ces craintes de ta part, je reconnais bien le bon cœur de ma chère mère, qui, après avoir tant craint ma prodigalité en- vers cette personne, s'effraye maintenant à l'idée de mon ingratitude envers elle. Cette condition médiocre où elle vit doit te prouver enfin qu'elle est bien différente de ce que tu te la figurais, puisque sa pauvreté arrive à te donner de l'inquiétude sur ma conduite à son égard. Mais, sur ce point, rassure-toi, elle et moi sommes contents l'un de l'autre, et si je suis fou, ce n'est pas sur le chapitre du devoir que je déraisonne.

Encore une confession qu'on ne t'a pas faite pour moi et dont je veux avoir le mérite. J'ai joué un beau soir c'nez l'oncle de Morin et j'ai perdu vingt-cinq louis. C'est la première fois, je crois, que je touchais des cartes, et ce sera la dernière. J'ai emprunté pour payer et j'ai rendu, voilà le secret de ma gêne ce mois-ci. Mais Je ne m'en plains pas, c'est ma faute. C'est une leçon, et j'en profiterai.

Sancho di.sait, je crois, qu'il ne faut faire de sottises que celles qu'on aime à faire. Justement je déteste le jeu, et j'ai été puni d'avoir contrarié mon goût et mon ins- tinct. Nous partons demain pour faire notre tournée dans la division. Nous allons passer en revue toutes nos troupes et les mettre en état de paraître devant le premier consul, qu'on dit, inler nos, devoir venir nous visiter bientôt.

Adieu, ma bonne mère, crois que ton bonheur peut seul faire le mien, et qu'il entrera toujours comme cause pre- mière dans toutes mes actions, comme duas toutes mes pensées. Je t'embrasse de toute mon âme.