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HISTOIRE DE MA VIE 329

véritable filet à prendre le poisson, que Félicie avait, et qui me paraissait fantastique. Cela se portait sur une robe de dessous en satin blanc, et se terminait en bas par une frange de houppes de laine tombant de chaque maille. Cela venait d'Italie et c'était très-estimé.

Ce qui me frappa le plus, ce fut une petite fille dont je n'ai jamais su le nom, et que Léonce taquinait beaucoup. Elle était déjà coquette comme une petite femme du monde, et elle n'avait guère que mon âge, sept à huit ans. Léonce lui disait qu'elle était laide, pour la faire en- rager, et elle enrageait si bien qu'elle pleurait de colère. Elle vint auprès de moi et me dit : « N'est-ce pas que c'est faux, et que je suis très-jolie? Je suis la plus jolie et la mieux habillée de tout le bal, maman l'a dit. » D'autres enfants qui étaient autour de nous, excités par l'exemple de Léonce, lui dirent qu'elle se trempait et qu'elle était la plus laide. Elle était si furieuse qu'elle faillit s'étrangler avec son collier de corail qu'elle tirait violemment autour de son cou et qui heureusement finit par se rompre.

Je fus frappée de ce naïf dépit, de ce véritable désespoir d'enfant, comme d'une chose fort extraordinaire. Mes pa- rents avaient dit cent fois devant moi que j'étais une su- perbe petite fille, et la vanité ne m'était pas venue pour cela ; je prenais cela pour un éloge donné à ma bonne conduite, car toutes les fois que j'étais méchante, on me disait que j'étais affreuse. La beauté pour les enfants me semblait donc avoir une acception purement morale. Peut-être n'étais-je point portée par nature à l'adoration de moi-même ; ce qu'il y a de certain, c'est que ma grand'- mèrj, tcut en faisant de grands efforts pour me donner le degré de coquetterie qu'elle me souhaitait, m'ôta le peu que j'en aurais pu avoir. Elle voulait me rendre gracieuse de ma personne, soigneuse de mes petites parures, élé- gante dxns mes pfl'Ues manières. J'avais eu jusque-là la