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324 HISTOIRE DE MA VIE

sais les expressions de physionomie, les attitudes, les ma- nières, le vide des paroles oiseuses, la lenteur des mouve- ments, les infirmités, les perruques, les verrues, l'embon- point désordonné, la maigreur cadavéreuse, toutes ces laideurs, toutes ces tristesses de la vieillesse qui choquent quand elles ne sont pas supportées avec bonhomie et sim- plicité. J'aimais la beauté, et sous ce rapport, la figure se- reine, Iraîche et indeslructiblement belle de ma grand'- mère ne blessait jamais mes regards; mais, en revanche, la plupart des autres me contristaient, et leurs discours me jetaient dans un ennui profond. J'aurais voulu ne point voir, ne point entendre. Ma nature scrutatrice me forçait à regarder, à écouter, à ne rien perdre, à ne rien oublier, et celte faculté naissante redoublait mon ennui en s'exerçant sur des objets aussi peu attrayants.

Dans la journée, quand je courais avec ma mère, je m'égayais avec elle de ce qui m'avait ennuyé la veille. Je lui faisais, à ma manière, la peinture des petites scènes burlesques dont j'avais été le silencieux et mélancolique spectateur, et elle riait aux éclats, enchantée de me voir partager son dédain et son aversion pour les vieilles com- tesses.

Et pourtant il y avait certainement parmi ces vieilles dames des personnes d'un mérite réel, puisque ma bonne maman leur était attachée. Mais, excepté madame de Par- daillan, qui m'a toujours été sympathique, je n'étais pas en âge d'apprécier le mérite sérieux et je ne voyais que les disgrâces ou les ridicules des solennelles personnes qui en étaient revêtues.

Madame de Maleteste avait un horrible cliien qui s'appe- lait Azor; c'est aujourd'hui le nom classique du chien de la portière, mais toutes choses ont leur charme dans la nouveauté, et à cette époque le nom d'Azor ne paraissait ridicule que parce qu'il était porté par un vieux caniche