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manière générale ? Je ne le pense pas ; elle devait être heureuse, car elle était adorée de sa famil'e ; je croirais pourtant assez qu'elle avait été brisée dans sa jeunesse par quelque peine de cœur qu'elle n'avait jamais révélée à per- sonne: ou bien comprenait-elle, avec son beau et noble cœur, combien j'aimais ma mère, et combien j'aurais à souffrir dans cette affection ?

Madame de Béranger et madame de Ferrières étaient toutes deux si infatuées de leur noblesse que je ne saurais laquelle nommer la première pour l'orgueil et les grands airs. C'étaient bien les meilleurs types de vieilles comtesses dont ma mère put se divertir.

Elles avaient été fort balles toutes les deux, et fort ver- tueuses, disaient-elles, ce qui ajoutait à leur morgue et à leur roideur. Madame de Ferrières avait encore de beaux restes et n'était point fâchée de les montrer. Elle avait toujours les bras nus dans son manchon des le matin, quelque temps qu'il fit. C'étaient des bi as fort blancs et très- gras, que je regardais avec éionnement, car je ne comprenais rien à cette coquetterie surannée. Mais ces beaux bras de soixante ans étaient si flasques qu'ils devenaient tout plats quand il se posaient sur une table, et cela me causait une sorte de dégoût. Je n'ai jamais compris ces besoins de nu- dité chez les vieilles femmes, surtout chez celles dont la vie a été sage. Mais c'était peut-être chez madame de Fer- rières une habitude de costume ancien, qu'elle ne voulait point abjurer.

Madame de Béranger, non plus que la précédente, n'était la favorite d'aucune princesse de l'ancien ou du nouveau n'gime'. Elle s'estimait trop haut placée pour cela, et elle eut dit volontiers: « C'est à moi d'avoir une cour, et non

1. iMadume de Pardaijlan était Paroie de la duchesse douai- rière d'Orléans.