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HISTOIRE DE MA VIE 3J7

lever de temps en temps pour aller jouer avec un vieux caniche qui s'appelait Babet et qui passait sa vie à faire des petits et à les allaiter dans un coin de la salle à manger,

La soirée me paraissait bien longue aussi. II fallait que ma mère prît des cartes et fit la partie des grands-parents, ce qui ne l'amusait pas non plus, mon oncle étant beau joueur et ne se fâchant pas comme Deschartres, et la mère la Marlière gagnant toujours parce qu'elle trichait. Elle convenait elle-même que le jeu sans tricherie l'ennuyait, c'est pourquoi elle ne voulait point jouer d'argent *.

Pendant ce temps, la bonne Bourdieu tâchait de me distraire. Elle me faisait faire des châteaux de cartes ou des édifices de dominos. Mon oncle, qui était taquin, se retournait pour souffler dessus ou pour donner un coup de coude à notre petite table. Et puis il disait à madame Bourdieu, qui s'appelait Victoire comme ma mère : « Vic- toire, vous abrutissez cet entant, montrez-lui quelque chose d'intéressant Tenez faites-lui voir mes tabatières ! d Alors on ouvrait un coffret et l'on me faisait passer en revue une douzaine de tabatières fort belles, ornées de charmantes

1. J'ai fait depuis une remarque qui m'a paru triste: c'est que la plupart des femmes trichent au jeu et sont malhonnêtes en alFaires d intérêt. Je l'ai constaté chez des femmes riches, pieuses et considérées. Il faut le dire, puisque cela est, et que signaler un mal c'est le combattre. Cet instinct de duplicité, qu'on peut observer même chez les jeunes filles qui jouent sans que la partie soit intéressée, tient-il à un besoin inné de tromper, ou à i'àpreté d'une volonté nerveuse qui veut se soustraire à la loi du hasard? Cela ne vient-ii pas plutôt de ce que leur éducation mo- rale est incomplète ? Il y a deux sortes d'honneur dans le monde : celui des hommes porte sur la bravoure et sur la loyauté dans les transactions pécuniaires; celui des femmes n'est attaché qu à la pudeur et à la fidélité conjugale. Si l'on se permettait de dire ici aux hommes qu'un peu de chasteté et de fidélité ne leur nuirait pas, ils lèveraient certainement les épaules. Mais nieront- ils qu'une honnête femme, qui serait en même temps un hon- nête homme, aurait doublement droit è, leur respect et à leur confiance?

II. f«.