Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/325

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA. VIE 315

Je voudrais être bijoutier ou costumier pour inventer tou-' jours, et pour donner, par le miracle du goût, une sorte de vie à ces riches matières. Mais tout cela n'est d'aucun usage agréable pour moi. Une belle robe est gênante, les bijoux égratignent, et en toutes choses, la mollesse des habitudes nous vieillit et nous tue. Enfin je ne suis pas née pour être riche, et si les malaises de la vieillesse ne com- mençaient à se faire sentir, je vivrais très-réellement dans une chaumière du Berry, pourvu qu'elle fût propre S avec autant de contentement que dans une villa italienne.

Ce point n'est vertu ni prétention à l'austérité républicaine. Est-ce qu'une chaumière n'est pas, surtout pour l'artiste, plus belle, plus riche de couleur, de grâce, d'arrangement et de caractère, qu'un vilain palais moderne construit et décoré dans le goût constitutionnel, le plus pitoyable style qui existe dans l'histoire des arts? Aussi n'ai-je jamais compris que les artistes de mon temps eussent, en général, tant de vénalité, de besoins de luxe, d'ambitions de for- lune. Si quelqu'un au monde peut se passer de luxe et se créer à lui-même une vie selon ses rêves avec peu, avec presque rien, c'est l'artiste, puisqu'il porte en lui le don (le poétiser les moindres choses et de se construire une cabane selon les règles du goût ou les instincts de la poé- sie. Le luxe me paraît donc la ressource des gens bêtes.

Ce n'était pourtant point le cas pour mon grand-oncle; son goût était luxueux de sa nature, et j'approuve fort qu'on se meuble avec de belles choses quand on peut se les procurer, par d'heureuses rencontres, à meilleur mar- ché que de laides. C'est probablement ce qui lui élail arrivé, car il avait une mince fortune et il était fort gé- néreux, ce qui équivaut à dire qu'il était pauvre et n'avait pas de folies et de caprices à se permettre.

1. Et elles le sont presque toutes, j'aime à le dire.