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HISTOIRE DE MA VIE 313

hérité de ce riche ameublement ou s'il l'avait collectionné lui-même; mais ce serait aujourd'hui une trouvaille pour un amateur que ce mobilier complet dans son ancienneté, depuis la pincette et le soufflet, jusqu'au lit et aux cadres des tableaux. 11 avait des peintures superbes dans son sa- lon, et des meubles de boule d'une grandeur et d'une ri- chesse respectables. Comme tout cela n'était pas redevenu de mode et qu'on préférait à ces belles choses, véritables objets d'art, les chaises curules de l'Empire et les détes- tables imitalions d'Herculanum en acajou plaqué ou en bois peint couleur bronze, le mobilier de mon grand- oncle n'avait guère de prix que pour lui-même. J'étais loin de pouvoir apprécier le bon goût et la valeur artistique d'une semblable collection ; et même j'entendais dire à ma mère que tout cela était trop vieux pour être beau. Pour- tant les belles choses portent avec elles une impression que subissent souvent ceux mêmes qui ne les comprennent pas. Quand j'entrais chez mon oncle, il me semblait entrer dans un sanctuaire mystérieux, et, comme le salon était en eflet un sanctuaire fermé, je priais tout bas madame Bour- dieudem'y laisser pénétrer. Alors, pendant que les grands- parents jouaient aux caries après dîner, elle me donnait un petit bougeoir, et, me conduisant comme en cachette dans ce grand salon, elle m'y laissait quelques instants, me re- commandant bien de ne pas monter sur les meubles et de ne pas répandre de bougie. Je n'avais garde de désobéir; je posais ma lumière sur une table et je me promenais furtivement dans cette vaste pièce à peine éclairée jusqu'au plafond par mon faible luminaire. Je ne voyais donc que très-cnnfusément les grands portraits de Largillière, les beaux intérieurs flamands et les tableaux des maîtres italiens qui couvraient les murs. Je me plaisais au scin- tillement des dorures, aux grands plis des rideaux, au si- lence et à la solitude de celte pièce respectable quo l'on II. it