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312 HISTOIRE DE MA. VIE

fendre à l'air extérieur de s'introduire par la moindre fis- sure, que toutes les pièces étaient sombres et sourdes comnse des caves. L'art de se préserver du froid en France, et sur- tout à Paris, commençait à se perdre sous l'Empire, et il s'est tout à fait perdu maintenant pour les gens d'une for- tune médiocre, malgré les nombreuses inventions de chauffage économique dont le progrès nous a enrichis.

La mode, la nécessité et la spéculation, qui de concert nous ont amenés à bâtir des maisons percées de plus de fenêtres qu'il ne reste de parties pleines dans l'édifice; le manque d'épaisseur des murailles, et la hâte avec laquelle ces constructions laides et fragiles se sont élevées, font que plus un appartement est petit, plus il est froid et coûteux à réchauffer. Celui de mon grand-oncle était une serre chaude créée par ses soins assidus, dans une maison épaisse et massive, comme devraient l'être toutes les habitations dans un climat aussi ingrat et aussi variable que le nôtre. Il est vrai qu'autrefois on s'installait là pour toute sa vie, et qu'en y bâtissant son nid, on y creusait sa tombe.

Les vieilles gens que j'ai connus à cette époque et qui avaient une existence retirée ne vivaient que dans leur chambre à coucher. Elles avaient un salon vaste et beau, où elles recevaient une ou deux fois l'an, et où, le reste du temps, elles n'entraient jamais. Mon grand-oncle et ma grand'mère, ne recevant jamais, eussent pu se passer de ce luxe inutile qui doublait le prix de leur loyer. Mais ils eussent cru n'être pas logés s'il en eût été autrement.

Le mobilier de ma grand'mère était du temps de Louis XVI, et elle n'avait point de scrupule d'y introduire de temps en temps un objet plus moderne lorsqu'il lui sem- blait commode ou joli. Mais mon grand-oncle était trop artiste pour se permettre la moindre disparate. Tout chez lui était du même style Louis XIV que les moulures des portes ou les ornements du plafond. Je ne sais s'il avait