Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/321

Cette page n’a pas encore été corrigée

HISTOIRE DE MA VIE 311

alors et se gaussait des curés, voire d'antre chose, avec une liberté extrême. A la Restauration, elle devint dévote et elle a vécu jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix-huit ans, je crois, en odeur de sainteté. Celait en somme, une excel- lente femme, sans préjugés au temps où je l'ai connue, et je ne pense pas qu'elle soit jamais devenue bigote et into- lérante. Elle n'en avait guère le droit, après avoir tenu . si peu de compte des choses saintes pendant les trois quarts de sa vie. Elle était fort bonne pour moi, et comme c'était la seule des amies de ma grand'mère qui n'eût aucune prévention contre ma mère, je lui témoignais plus de confiance et d'amitié qu'aux autres. Pourtant j'avoue qu'elle ne m'était pas naiurjllement sympathique. Sa voix claire, son accent méridional, ses étranges toilettes, son menton aigu dont elle me meurtrissait les joues en m'embrassant, et surtout la crudité de ses expressions burlesques, m'em- fêchaient de la prendre au sérieux et de trouver du plaisir à ses gâteries.

Madame Bourdieu allait et venait légèrement de la cui- sine au salon; elle n'avait guère alors qu'une quarantaine d'années. C'était une brune forte, replète, et d'un type irès-accusé. Elle élait de Dax, et avait un accent gascon encore plus sonore que celui de madame de la Marlière. Elle appelait mon grand-oncle papa, et ma mère aussi avait celte habitude. Madame de la Marlière, qui aimait à faire l'enfant, disait papa aussi, ce qui faisait paraître mon grand-oncle plus jeune qu'elh\

L'appartement qu'il a occupé tout le temps de ma vie oii je l'ai connu, c'est-à-dire pendant une quinzaine d'années, était situé rue Guénégaud, au fond d'une cour triste et vaste, dans une maison du temps de Louis XIV, d'un ca- ractère très-homogène dans toutes ses parties. Les fenêtres étaient hautes et longues; mais il y avait tant de rideaux, de tentures, de paravents, de draperies et de tapis pour dé-