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310 HISTOIRE DE MA VIE

jusqu'à son mariage, avec beaucoap de labeur et quelque petit profit.

Ces heureux dimanches si impatiemment attendus pas- saient comme des rêves. A cinq heures, Caroline allait dîner chez ma tante Maréchal, maman et moi nous allions retrouver ma grand'rnère chez mon grand-oncle de Beau- mont.

C'était un vieux usage de famille fort doux que ce dîner hebdomadaire qui réunissait invariablement les mêmes convives. Il s'est presque perdu dans la vie agitée et dés- ordonnée que l'on mène aujourd'hui. C'était la manière la plus agréable et la plus commode de se voir, pour les gens de loisirs et d'habitudes régulières. Mon grand-oncle avait pour cuisinière un cordon bleu qui, n'ayant jamais affaire qu'à des palais d'une expérience et d'un discernement consommés, mettait un amour-propre immense à le-; contenter. Madame Bourdieu, la gouvernante de mon oncle, et mon oncle lui-même exerçaient une surveillance éclairée sur ces importants travaux. A cinq heures pré- cises, nous arrivions, ma mère et moi, et nous trouvions déjà autour du feu ma grand'rnère dans un vaste fau- teuil placé vis-à-vis du vaste fauteuil de mon grand- oncle, et madame de la Marlière entre eux, les pieds allongés sur les chenets, la jupe un peu relevée, et mon- trant deux maigres jambes chaussées de souliers très- pointus.

Madame de la Marlière était une ancienne amie intime de la feue comtesse de Provence, la femme de celui qui fut depuis Louis XVIII. Son mari, le général delà Marlière, était mort sur l'échafaud. Il est souvent question de cette dame dans les lettres de mon père, si l'on s'en souvient. C'était une personne fort bonne, fort gaie, expansive, ba- billarde, obligeante, dévouée, brillante, railleuse, un peu conique dans i^us propos. Elle u'éiail point du tout picu53