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HISTOIRE DE MA VIE ?09

rue Grange-Batelière. Comme j'aimais tout cela ! Je ne me lassais pas de dire: « Je suis ici chez nous. Là-bas, je suis chez ma bonne maman. — Sac à papier! disait Pierret, qu'elle n'aille pas dire chez nous devan'. madame Dupin, elle nous reprocherait de lui apprendre à parler comme aux z-haUes\ » Et Pierret de rire aux éclats, car il riait volontiers de tout, et manière de se moquer de lui, et moi de crier: « Comme on s'amuse chez nous! »

Caroline me faisait des pigeons avec ses doigts, ou, avec un bout de fil que nous passions et croisions dans les doigts l'une de l'autre, elle m'apprenait toules ces figures et ces combinaisons de lignes que les enfonts appellent le lit, le bateau, les ciseaux, la scie, etc. Les belles poupées et les beaux livres d'images de ma bonne maman ne me para.";- saient plus rien auprès de ces jeux qui me rappelaient mon enfance, car, encore enfant, j'avais déjà une enfance, un passé derrière moi, des souvenirs, des regrets, une exis- tence accomplie et qui ne devait pas m'être rendue.

La faim me prit, il n'y avait cAc^ nous ni gâteaux ni con- fitures, mais le classique pot-au-feu pour toute nourriture. Mon goûter passa en un instant de la cheminée sur la table. Avec quel plaisir je retrouvai mon assiette de terre de pipe! Jamais je ne mangeai de meilleur cœur. J'étais comme un voyageur qui rentre chez lui après de longues tribulations et qui jouit de tout dans son petit ménage.

Ma grand'mère revint me chercher, mon cœur se serra. Mais je compris que je ne devais pas abuser de sa générosité. Je la suivis en riant avec des yeux pleins de larmes.

Ma mère ne voulut pas abuser non plu? de la concession faite et ne me mena chez elle que les dimanches. C'étaient les jours de congé de Caroline, qui était encore en pension, ou qui peut-être commençait à apprendre le métier de graveuse de musique qu'elle a continué depuis et exercé