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308 HTSTOIRE DE MA VIE

était entrée avec une tempête dans l'âme, et, comme de coutume, elle était étonnée devant la fermeté souple et polie de sa belle-mère, d'avoir à plier ses voiles et à rentrer au port.

Au bout de quelques instants, ma grand'mère se leva pour continuer ses visites, priant ma mère de me garder jusqu'à ce qu'elle vînt me reprendre. C'était une concession et une délicatesse de plus, pour bien montrer qu'elle ne prétendait pas gêner et surveiller nos épanchements. Pierret arriva à temps pour lui offrir son bras jusqu'à la voiture. Ma grand'mère avait de la déférence pour lui, à cause du grand dévouement qu'il avait témoigné à mon père. Elle lui faisait très-bon accueil, et Pierret n'était point de ceux qui excitaient ma mère contre elle. Bien au contraire, il n'était occupé qu'à la calmer et à l'engager à vivre dans de bons rapports avec sa belle-mère. Mais il rendait à celle-ci de très-rares visites. C'était pour lui trop de contrainte que de rester une demi-heure sans allumer son cigare, sans faire de grimaces, et sans proférer à chaque phrase son jurement favori, sac à papier !

Quelle joie ce fut pour moi que de me retrouver dans ce qui nie semblait ma seule, ma véritable famille ! Que ma mère me semblait bonne, ma sœur aimable, mon ami Pierret drôle et complaisant! Et ce petit appartement si pauvre et si laid en comparaibon des salons ouatés de ma grand'mère (c'est ainsi que je les appelais par dérision), il devint pour moi, en un instant, la terre promise de mes rêves. Je l'explorais dans tous les coins, je regardais avec amour les moindres objets, la petite pendule en al- bâtre, les vases de fleurs en papier, jaunies sous leur cy- lindre de verre, les pelotes que Caroline avait brodées en chenille, à sa pension, et jusqu'à la chaulfcrette de ma mère, ce meuble prolétaire banni des habitudes élégantes, ancien trépied de mes premières improvisations dans la