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306 HISTOIRE DE MA VIE

cœur d'enfant commençait à être ballotté par leur rivalité. Objet d'une jalousie et d'une lutte perpétuelles, il était im- possible que je ne fusse pas la proie de quelque iréveiilion, comme j'étais la victime des douleurs que je causais.

Dès que je fus en état de sortir, ma grand'mère m'en- veloppa soigneusement, me prit avec elle dans une voiture et me conduisit chez ma mère où je n'avais pas encore été depuis mon retour à Paris. Elle demeurait alors rue Duphot, si je ne me trompe. L'appartement était petit, sombre et bas, pauvrement meublé, et le pot-au-feu bouillai'- dans la cheminée du salon. Tout clait fort propre, mais ne sentait point la richesse ni la proJigalité.On a tant reproché à ma mère d'avoir mis du désordre dans la vie de mon père et de lui avoir fait faire des dettes, que je suis bien aise de la retrouver, dans tous mes souvenirs, économe, presque avare pour elle-mênie.

La personne qui vint nous ouvrir fut Caroline. Elle me parut jolie comme un ange, avec son petit nez retroussé. Elle était plu.« grande que moi relativement à nos âges respectifs, elle avait la peau moins brune, les traits plus- délicats et une expression de finesse un peu froide et railleuse. Elle soutint avec aplomb la rencontre de ma grand'mère, elle se sentait chez elle ; elle m'embrassa avec transport, me lit mille caresses, mille questions, avança tranquillement et fièrement un fauteuil à ma bonne maman en lui disant; « Asseyez-vous, 77îadame Dapin, je vais faire appeler maman, qui est chez la voisine, a Puis, ayant averti la portière qui faisait leurs commissions, car elles n'avaient pas de servante, elle revint s'asseoir auprès du feu, me prit sur ses genoux, et se remit à me questionner et à me caresser, sans s'oc- cuper davantage de la grande dame qui lui avait fait un si cruel affront.

Ma bonne maman avait certainement préparé quelque bonne et digne parole à dire à cette enfant, pour la rassurer