Page:Sand - Histoire de ma vie - tome 2.djvu/314

Cette page n’a pas encore été corrigée

304 HISTOIRE DE MA VIE

mieux que ma grand'mère elle-même, et j'ai vu dans ses mains le Contrat social de Rousseau, qu'elle comprenait fort bien. Tous les mémoires connus ont été avalés et retenus par cette tête froide, positive et sérieuse. Elle était versée dans toutes les intrigues de la cour de Louis XIY, de Louis XV, de la czarine Catherine, de Marie-Thérèse et du grand Fré- déric, comme un vieux diplomate; et si on était embarrassé de se rappeler quelque parenté des seigneurs de l'ancienne France avec les grandes familles de l'Europe, on pouvait s'adresser à elle, elle avait cela au bout de son doigt. J'i- gnore si, dans sa vieillesse, elle a conservé cette aptitude et cette mémoire, mais je l'ai connue vraiment érudite en ce genre, solidement instruite à plusieurs autres égards, bien qu'elle ne sût pas un mol d'orthographe.

J'aurai encore beaucoup à parler d'elle; car elle m'a fait beaucoup souffrir, et ses rapports de police sur mon compte auprès de ma grand'mère m'ont rendue beaucoup plus mal- heureuse que les criailleries et les coups dont Rose, par bonne intention, travaillait à m'abrutir; mais je ne me plaindrai ni de l'une ni de l'autre avec amertume. Elles ont travaillé à mon éducation physique et morale selon leur pouvoir, et chacune d'après un système qu'elle croyait le meilleur.

Je conviens que Julie me déplaisait particulièrement, parce qu'elle haïssait ma mère. En cela, elle croyait témoi- gner de son dévouement à sa maîtresse, et elle faisait à celle-ci plus de mal que de bien. En résumé, il y avait chez nous le parti de ma mère^ représenté par Rose, Ursule et moi ; le paj-Zi de ma grand'mère^ représenté par Des- chartres et par Julie.

Il faut dire à l'éloge des deux suivantes de ma bonne maman que celte différence d'opinion ne les empêcha pas de vivre ensemble sur le pied d'une grande amitié, et que Rose, sans jamais abandonner la défense de sa première