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HISTOIRE DE MA VIE 303

grand'mère, parce qu'elle n'oubliait rien, prévoyait tout, mettait le sabot à la roue, relevait le postillon s'il se lais- sait choir, racomniodait les traits, et eût volontiers, e;i cas de besoin, pris les bottes fortes et mené la voiture. C'était une nature puissante, comme l'on voit, une véritable char- relicre de la Brie, où elle avait été élevée aux champs.

Elle était laborieuse, courageuse, adroite, propre comme une servante hollandaise, franche, juste, pleine de cœur et de dévouement. Mais elle avait un défaut cruel dont je m'aperçus bien par la suite, et qui tenait à l'ardeur de son sang et à l'exubérance de sa vie. Elle était violente et brutale. Comme elle m'aimait beaucoup, m'ayant bien soi- gnée dans ma première enfance, ma mère croyait m'avoir donné une amie, et elle me chérissait en effet, mais elle avait des emportements et des tyrannies qui devaient m'op- primer plus tard et faire de ma seconde enfance une sorte de martyre.

Pourtant je lui ai tout pardonné, et, chose bizarre, malgré l'indépendance de mon caractère et les souffrances dont elle m'a accablée, je ne l'ai jamais haïe. C'est qu'elle était sin- cère, c'est que le fond était généreux, c'est surtout qu'elle aimait nia mère et qu'elle l'a toujours aimée. C'était tout le contraire avec mademoiselle Julie. 'Celle-ci étai* douce, polie, n'élevait jamais la voix, montrait une patience angé- lique en toutes choses; mais elle manquait de franchise, et c'est là un caractère que je n'ai jamais pu supporter. C'était une fille d'un esprit supérieur, je n'hésite pas à le dire. Sortie de sa petite ville de La Châtre sans avoir rien appris, sachant à peine lire et écrire, elle avait occupé ses longs loisirs de Nohant à lire toute espèce de livres. D'abord ce furent des romans, dont toutes les femmes de chambre ont la passion, ce qui fait que je pense souvent à elle quand j'en écris. Ensuite ce furent des livres d'histoire, et enfin des ouvrages de philosophie. Elle connaissait son Voltaire