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298 HISTOIRE DE MA VIE

grand'mère avait l'air de sommeiller sur son fauteuil ; mais elle avait le sommeil léger. Au moment où je gagnais la porte sur la pointe du pied, sans savoir ce qu'on voulait de moi, ma bonne maman se retourne et me dit d'un ton sévère : « Où alluz-vous si njystérieusement, ma fille? — Je n'en sais rien, maman, c'est ma bonne qui m'appelle. — Entrez, Rose, que voulez-vous? Pourquoi appelez-vous ma fille comme en cachette de moi ?» La bonne s'embar- rasse, hésite et finit par dire : « Eh bien, madame, c'est mademoiselle Caroline qui est là. »

Ce nom si pur et si doux fit un effet extraordinaire sur ma grand'mère. Elle crut à une résistance ouverte de la part de ma mère, ou à une résolution de la tromper que l'enfant ou la bonne avait trahie par maladresse. Elle parla durement et sèchement, ce qui certes lui arriva bien ra- rement dans sa vie. « Que cette petite s'en aille tout de suite, dit-elle, et qu'elle ne se présente plus jamais ici ! Elle sait très-bien qu'elle ne doit point voir ma fille. Ma fille ne la connaît plus, et moi je ne la connais pas. Et quant à vous. Rose, si jamais vous cherchez à l'introduire chez moi, je vous chasse ! »

Rose épouvantée disparut. J'étais troublée et effrayée, presque affligée et repentante d'avoir été pour ma grand'- mère un sujet de colère, car je sentais bien que cette émo- tion ne lui était pas naturelle et devait la faire beaucoup souffrir. Mon étonnement de la voir ainsi m'empêchait de penser à Caroline, dont le souvenir était bien vague en moi. Mais tout à coup, à la suite de chuchotements échan- gés derrière la porte, j'entends un sanglot étouffé, mais déchirant, un cri parti du fond de l'âme, qui pénètre au fond de la mienne et réveille la voix du sang. C'est Caro- line qui pleure et s'en va consternée, brisée, humiliée, i>lessée dans son juste orgueil d'elle-même et dans son naïf amou.»" pour moi.