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296 HISTOIRE DE MA VIE

quand elle échappait à des influences indignes de son es- prit et de son cœur. Caroline était née longtemps avant que mon père eût connu ma mère ; mon père l'avait traitée et aimée comme sa fille, elle avait été la compagne raison- nable et complaisante de mes premiers jeux. C'était une jolie et douce enfant, et qui n'a jamais eu qu'un défaut pour moi , celui d'être trop absolue dans ses idées d'ordre et de dévotion. Je ne vois pas ce qu'on pouvait ciaindre pour moi de son contact et ce qui eût pu me faire rougir jamais devant le monde de la reconnaître pour ma sœur, à moins que ce ne fût une souillure de n'être point noble de naissance, de sortir probablement de la classe du peuple, car je n'ai jamais su quel rang le père de Caroline occu- pait dans la société, et il est à présumer qu'il était de la même condition humble et obscure que ma mère. Mais n'élais-je pas, moi aussi, la fille de Sophie Delaborde , la petite-fille du marchand d'oiseaux , l'arrière-petite-fille de la mère Cloqiiard? Comment pouvait-on se flatter de me faire oublier que je sortais du peuple et de me persuader que l'enfant porté dans le même sein que moi était d'une nature inférieure à la mienne, par ce seul fait qu'il n'avait point l'honneur de compter le roi de Pologne et le maré- chal de Saxe parmi ses ancêtres paternels ? Quelle folie, ou plutôt quel inconcevable enfantillage! Et quand une per- sonne d'un âge mùr et d'un grand esprit commet un en- fantillage devant un enfant , combien de temps , d'efforts et de perfections ne faut-il pas pour en effacer en lui l'im- pression ?

Ma grand'mere fit ce prodige, car cette impression, pour n'être jamais effacée en moi, n'en fut pas moins vaincue par les trésors de tendresse que son âme me prodigua. Mai» s'il n'y avait pas eu quelque raison profonde à la peine qu'elle eut à se faire aimer de moi, je serais un monstre. Je suis donc forcée de dire en quoi elle pécha au