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292 HISTOIRE DE MA VIE

tandis que les corbeaux volaient tout autour pour se disputer sa chair. C'était un spectacle affreux et une infection qui vous suivait jusqu'aux portes de la ville. »

Ma grand'mère croyait peut-être que je dormais pendant ce lugubre récit. J'étais muette d'horreur et une sueur froide parcourait mes membres. C'était la première fois que je me faisais de la mort une image eff'rayante; car cela n'était pas dans mes instincts, comme on a pu le voir, et, pour mon compte, je ne me suis jamais préoccupée de la forme qu'elle pourrait prendre en me venant chercher. Mais ces pendus , ces arbres , ces corbeaux , ces cheveux noirs, tout cela fit passer dans mon cerveau de si horribles images que les dents me claquaient de peur. Je ne son- geais pas le moins du monde au danger d'être attaquée ou tuée dans celte forêt; mais je voyais les pendus flolter aux branches des vieux chênes, et je me les représentais sous des traits eff"royables. Cette terreur m'est restée bien long- temps, et toutes les fois que nous traversions la forêt, jus- qu'à l'âge de quinze ou seize ans, elle m'est revenue aussi vive et aussi douloureuse. Tant il est vrai que les émotions de la réalité ne sont rien en comparaison de celles que l'ima- gination nous représente.

Nous arrivâmes à Paris, rue Neuve-des-Mathuriris, dans un joli appartement qui donnait sur les vastes jardins situés de l'autre côté de la rue, et que de nos fenêtres nous découvrions en entier. L'appartement de ma grand'mère était meublé comme avant la Révolution. C'était ce qu'elle ivait sauvé du naufrage et tout cela était encore très-frais »t très-confortable. Sa chambre était tendue et meublée en damas bleu de ciel; il y avait des lapis partout, un feu d'enfer dans toutes les cheminées.

Jamais je n'avais été si bien logée et tout me semblait un sujet d'élonnement dans ces recherches d'un bien-être qui était beaucoup moindre à Nohant. Mais je n'avais pas